Shanghai – minuit trente-trois. L’hiver. Les portes de l’ascenseur se referment et engloutissent cette femme en robe de soirée. Quelle allure. Quelles formes. Quel étage ? 82ème s’il vous plait. Il s’envole direction les nuages. Ascenseur de verre. Vue affolante sur l’immensité de Shanghai. Il pleut. La pollution dévore tout espoir de neige cette année. Les perles de pluie tombent insouciantes sur l’immense building qui surplombe la ville. Un éclair. Madame, tout va bien ? Elle caresse son ventre la belle. Un autre éclair. Ses traits se déforment en un rictus presque douloureux. Un dernier éclair et l’ascenseur se perd dans l’obscurité. Tout va bientôt rentrer dans l’ordre, madame. Un silence. Madame ? Bruit sourd. L’homme s’agenouille et aide la somptueuse sirène à s’allonger sur le sol. C’est le moment. Deux mains s’apprivoisent, se rassurent. Tout ira bien, madame. L’obscurité est là, mais elle est n’est pas la seule. Le travail a commencé. Des cris. Des pleurs. Un premier cri. Un premier pleure.

Montréal – midi trente-trois. L’hiver. Les températures frôlent les – trente degrés et pourtant, contre toute attente, il ne fait pas froid. Les flocons de neige se heurtent avec douceur contre le carreau immaculé de la chambre d’enfant fraîchement repeinte. Les lampadaires sont à peine visibles de l’intérieur de la maison. Somptueux spectacle, possible calvaire. On ne va pas pouvoir sortir mon cœur… Le temps. C’est toujours une question de temps. Le vent commence à se lever. Des éclats d’hiver passent maintenant par les commissures de la fenêtre du salon. Frissons. Il faut sortir les couvertures. Et vite. Cinquième contraction. Ou peut-être le sixième. Qui sait ? Les cris de douleur se confondent avec le bruit des volets qui claquent. Respire mon cœur. Deux mains qui se touchent, se rassurent. Tout ira bien. Les murs tremblent. L’hiver est là. Il n’est pas le seul. Le travail a commencé. Intenses respirations. Des âmes qui s’unissent pour la beauté d’une nouvelle. Des cris. Des pleurs. Un premier cri. Un premier pleure. Ce soir, il ne fait pas froid.



Le temps. Denrée éphémère. A la naissance, chaque nouvel être dispose de 9 460 800 minutes. Pas une de plus, pas une de moins. Jusqu’à ses dix-huit ans, la liberté de chacun est assurée. Vivre en paix lui est accordé pendant ce laps de temps. Après cette limite, l’Homme doit apprendre à gagner du temps, gagner son temps. Travailler. Piller. Tuer. Vendre son âme au diable. Les manières d’obtenir ses secondes supplémentaires lui appartiennent. Il doit cependant être prévenu. Son âme est liée, dès sa naissance, à celle d’un autre individu. Même âge. Sexe pouvant changer. Chacun de ses actes a donc une conséquence directe sur sa moitié. La perte de l’intégralité du temps de l’un ou de l’autre des âmes égarées entraînera une dévotion pure et simple du binôme à la société. Le maître du temps est une entité singulière qui contrôle l’existence de toutes ces âmes. Les âmes qui travaillent pour lui sont à l’abri du besoin, ainsi que leur binôme,… jusqu’à la moindre petite erreur. Les minutes n'ont qu'à bien se tenir afin de profiter des avantages que le Maitre leur offre. Les autres, se contentent de survivre. Perdre l’intégralité de son temps, c’est perdre son âme. Perdre son âme, c'est se damné, c'est offrir sa vie à la société, Kâla, mais aussi Dewilde. Croyez-moi, vous ne voulez pas en arriver là.

Depuis quelques années, le maître du temps a élu domicile dans la grande ville de Kâlâ et y a concentré un nombre important de binômes pour en avoir le plein contrôle. Le mystère de ces âmes liées intrigue, parce qu'elles ne sont pas que jumelles, liées par quelque chose d'inexplicable, elles peuvent s'unir, s'aimer, se détester ou ne jamais savoir. C'est un choix. Une possibilité, et vous, que ferez-vous de votre vie ?