Le vent sur tes joues, le souffle court résultant d'une course effrénée contre les minutes, contre le temps, contre la vie. Tu t'engouffres dans une rue, bifurques dans une autre et puis tu te figes. Une odeur. Une silhouette. Elle. L'ange que tu n'espérais plus jamais revoir. Cette merveille qui a longtemps illuminé ta vie, elle ne savait pas, elle ignore toujours, que si tu tenais, c'était en partie grâce à elle. Les tortures. L'enfermement. Tu n'aurais jamais survécu sans les souvenirs qu'elle et toi aviez en commun. Elle était ta douce échappée, la raison pour laquelle tu acceptais de suivre tes parents dans ces soirées ridiculement guindées elle sera là. Elle ne devait pas se retourner, tu aurais pu continuer ta fuite si elle ne l'avait pas fait, tu aurais pu continuer de te souvenir d'elle comme d'un doux mirage, vestige d'une vie qui ne s'offrira plus jamais à toi, mais elle s'est retournée, ses yeux tombants dans les tiens. Louka ? Un frisson. T'es plus ce gamin innocent avec qui elle s'amusait, qui la protégeait des autres, de la rudesse du monde qui est le vôtre, aujourd'hui, tu te définis par un numéro 626, ce numéro qui est inscrit sur ta peau, ce chiffre qui coûta la vie à ton âme jumelle. D'un geste vif, tu relèves le foulard qui trône autour de ton cou sur ton visage, comme si ça suffirait à lui faire oublier, à la faire douter et tu reprends ta course. Tu sais déjà que tu auras son visage à l'esprit avant de t'endormir ce soir. Principessa, sa douceur n'a plus sa place dans ta vie.
Le commencement
Comment connaître la tristesse quand ta vie n'est faite que de douceur ? Comment comprendre que certaines vies cessent parce que la vie est injuste, simplement, que de bonnes personnes quittent ce monde bien trop tôt, alors que des criminelles le peuplent avec plus de minutes au compteur que l'ensemble de ta famille ? Ce sont des choses compliquées pour un enfant. Tu étais innocent, tu profitais de la vie avec tes parents, des gens biens, et ton frère dans les belles villes italiennes. Tu aimes ton pays, il te manque. C'est un enfant naïf qui à quitter l’Italie, désormais, ce serait un homme torturé qui foulerait la terre de tes ancêtres. Un gamin curieux, malicieux, dans l'ombre de son frère adoré, voilà comment tu es arrivé à Kâlâ. Huit ans. Haut comme six pommes, des rêves pleins la tête, des étoiles pleins les yeux. Tes parents t'avaient promis une nouvelle vie passionnante, ce n'est pas vraiment comme ça que tu décrirais ta vie dans cette ville maudite.
Quatorze ans, tes yeux couleurs océan rencontre ceux tempétueux, magnifiques et sauvage d'une jeune fille, nouvelle dans cette pièce, tu ne l'as jamais vue auparavant, tu ne sais pas si c'est de la timidité, de la tristesse ou n'importe quel autre sentiment qu'un enfant de ton âge ne pouvait comprendre, mais elle semble avoir besoin d'un ami. Salut, je m'appelle Louka, tu lui offres un sourire, mais également une amitié sincère et infaillible. Ce soir-là, vous l'ignoriez, mais une grande amitié venait de naître. Une amitié et bien plus encore. Astrée. C'est son prénom à ton étoile, ta princesse, celle pour qui tu retournerais la terre, celle pour qui tu aurais décroché la lune et ses étoiles pour elle.
Astrée et Louka, le duo d'inséparables. Jamais l'un sans l'autre ; à l'école, en sortie, dans la rue ou au restaurant. C'était impossible de vous décoller. Tu ne voyais pas ta vie sans elle, elle la rendait plus belle, plus douce. Vous étiez deux gosses innocents, tu voulais qu'elle soit heureuse, tu voulais lui offrir le monde auquel elle avait droit, plus le temps passait plus tu avais envie d'être avec elle. Tout en elle te plaisait, sa façon d'être, son sourire, tu aurais sacrifié tes rêves pour les siens, mais tu avais bien trop peur de la perdre que pour t'avouer ce que tu ressentais réellement. Tu préférais la voir aux bras d'autres, plutôt que de tenter l'honnêteté, parce que tu sais
Solaire, ingénieux, gentil, tu possèdes bien des qualités, tu les possédais en tout cas. Jusqu'à ce que tes parents soient arrêtés pour trahison. Tes parents. Les personnes les plus douces et les plus gentilles du monde. La trahison est simplement impensable à tes yeux, tu as dix-neuf ans alors, tu n'es plus un gamin, tu fais des études d'architecture, tu es populaire et bien entouré. Elle est toujours présente, elle le sera toujours, malgré la chute, tandis que les autres sont déjà loin. Tes parents sont envoyés dans le Tartare, toi et ton frère vous retrouvez dans l'Erebe. Vous devez apprendre à survivre et heureusement que l'un comme l'autre n'êtes pas trouillards. Vous vous protégez, vous allez frapper à des portes que vous pensiez ouvertes, mais une fois que la fortune ne sourit plus, on a beau être audacieux, plus personne ne s'intéresse à vous. Personne, sauf une petite demoiselle. Astrée est toujours présente dans ta vie, pourtant ton frère à raison, tu dois la laisser partir. Du moins, tu ne dois pas l'attirer dans ce monde qui est désormais le tien. Tu sais qu'il a raison, pourtant à chaque fois que tu la croises, tu ne peux te résoudre à lui dire au revoir.
LAISSEZ-MOI SORTIR. La panique. Le froid. La faim. La fatigue. Tu ressens tellement de choses simultanément, c'est difficilement descriptible. Tu ne sais pas comment tu es arrivé là, tu ne sais même pas où c'est là. Tout ce que tu sais, c'est que tu n'es pas seul. Les cris sont un signe. Tu ne sais pas encore ce qu'on te veut, ce que tu as fait pour mériter un tel sort, mais tu aurais préféré ne jamais le découvrir. Une brûlure pique ta nuque, un tatouage, une marque au fer rouge 6 2 6, c'est ton matricule, c'est comme ça qu'on t'appelle désormais, fini le joli Louka qui roule sur la langue, fini le Di Pasquale racé de tes ancêtres, tu n'es plus qu'un nombre. Tu survis à l'enfer, parce que tu penses à elle, ton étoile, mais aussi à ton frère, qui est quelque part dehors et qui te cherche probablement, du moins tu l'espères. je m'appelle louka... je m'appelle louka... Refrain que tu chantonnes, tu ne veux pas oublier qui tu es, pourtant la douleur te rend progressivement fou, tu perds tes repères, tu deviens autre chose. Un être violent, tu rêves de vengeance, de faire couler du sang, comme on fait couler le tien. Rapidement, les souvenirs de l'étoile
2018, tu cours dans les rues, tu fuis, ta nouvelle famille t'attends, ton frère vous a rejoint, c'est lui et toi contre le monde, depuis que t'es né jusqu'à la mort. T'as plus rien du gamin innocent, solaire, t'es sombre, un abysse, déjà pas froussard, t'es devenu un inconscient, ton empathie n'est plus la même. Tu détestes ces putains de privilégiés qui t'ont tourné le dos. Tous. Sauf elle. L'étoile. La tienne. Depuis que tu as croisé son regard dans cette ruelle, tu penses à elle tous les jours. Tu es redevenu son ombre, fantôme du passé bienveillant, tu t'assures qu'il ne lui arrive rien, elle est la seule autre pour qui tu t'inquiètes. Toujours. T'avais oublié ce que ça fait d'avoir un palpitant qui cogne, pourtant à chaque fois que tu la vois, qu'elle prend un risque inutile, ça cogne si fort que ça te fait mal, t'es pas prêt de la lâcher, même si elle ignore ta présence, elle restera ta principessa à jamais.